Commandée vers 1375 par le duc Louis Ier d’Anjou, la Tapisserie de l’Apocalypse est un chef d’œuvre de l’art médiéval, unique au monde.
Sur ses 140 mètres d’origine, 100 sont parvenus jusqu’à nous. Elle est le plus important ensemble de tapisseries médiévales subsistant au monde. Constituée de six pièces mesurant environ 4.50 mètres de haut composées chacune d’un grand personnage introductif et de quatorze scènes, elle couvrait à l’origine une surface totale de 850 m².
Château d'Angers, galerie de l'Apocalypse © Philippe Berthé / CMN
Collectionneur de tapisseries, Louis Ier d’Anjou fait partie d’une famille de princes lettrés et commanditaires d’œuvres d’art. C’est à Jean de Bruges, peintre de son frère le roi de France Charles V, que Louis Ier demande de concevoir le dessin et les cartons préparatoires de cette œuvre illustrant l’Apocalypse de saint Jean. Il s’appuie pour ce faire sur des bibles enluminées du XIIIème siècle conservées dans la librairie de Charles V. À la fois enlumineur et fresquiste, Jean de Bruges a quant à lui l’habitude des grands formats tout autant que du traitement des détails. La tenture de l’Apocalypse est ainsi révélatrice de l’art pictural de la fin du Moyen Âge, entre héritage de l’iconographie des siècles passés et réalisme de plus en plus prononcé dans le traitement des architectures et l’approche de la tridimensionnalité.
Quatrième trompette, l'aigle de malheur, détail du buste de saint Jean © Antoine Ruais / CMN
Le tissage de la tapisserie est confié aux ateliers parisiens de Nicolas Bataille. La technique employée est celle dite de la tapisserie de lice qui passe par l’emploi de grands métiers sur lesquels sont montés des fils de laine non teintés. Sur cette base et par différentes techniques de points, le licier tisse les fonds et les motifs à l’aide de fils de laine colorés. L’Apocalypse d’Angers est une tapisserie dite « sans envers », ce qui signifie que tous les arrêts sont cachés à l’intérieur même du travail, donnant ainsi un résultat parfait des deux côtés.
Pour toutes ces qualités artistiques, elle est déjà connue et reconnue en son temps. Conservée la majeure partie de l’année à l’abri des regards, gardée comme un trésor, cette œuvre de prestige n’était exposée que pour des occasions fastes, comme le mariage en Arles de Louis II d’Anjou et Yolande d’Aragon.
Homme de son époque, engagé dans la guerre de Cent Ans face aux Anglais puis régent du royaume de France à la mort de son frère, Louis Ier d’Anjou laisse aussi transparaître toute son ambition politique à travers la symbolique de l’Apocalypse. Ce texte résonne d’ailleurs de manière particulière aux oreilles des hommes du XIVème siècle qui subissent famines, épidémies et guerres. La tenture d’Angers devient ainsi un formidable document sur le contexte historique, social et politique de la fin du XIVème siècle.
Les myriades de cavaliers, envers de la pièce 2, scène 26 de la Tenture de l'Apocalypse © Antoine Ruais / CMN
Dernier descendant des Anjou à posséder cette œuvre textile, le roi René la lègue à la fin du XVème siècle à la cathédrale d’Angers. Mise en vente puis morcelée au XVIIIème siècle, il faut attendre le milieu du XIXème pour que sa valeur soit à nouveau appréciée et que commence un long travail de restauration sous l’impulsion du chanoine Joubert.
Elle est d’abord exposée dans le palais épiscopal et c’est dans ce contexte que l’artiste Jean Lurçat la découvre en 1938. Ce choc artistique est le point de départ de son œuvre maîtresse, Le Chant du Monde, un ensemble monumental de tapisseries conservé et exposé par les Musées d’Angers.
La tapisserie de l’Apocalypse est aujourd’hui présentée toute l’année aux visiteurs au sein du château, dans des conditions très spécifiques de conservation, depuis la construction d’une galerie dédiée dans les années 1950. Les dernières restaurations datent des années 1990 et un constat d’état a été lancé en 2016 qui permettra d’en apprendre d’avantage sur cette œuvre qui est aujourd’hui par ses dimensions, son ancienneté et sa virtuosité stylistique et technique, un chef d’œuvre extraordinaire et unique de l’art médiéval.