Art & Architecture
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C'est la plus grande tapisserie conservée du Moyen Âge ! L'Apocalypse de Louis Ier d'Anjou est un trésor de l’art français inscrit à l'UNESCO. Ses images saisissantes et son récit symbolique fascinent les femmes et les hommes depuis plus de 600 ans. Levons le voile sur ce chef-d'œuvre conservé au château d'Angers.
Commandée en 1375 par le duc Louis Ier d’Anjou, il fallut seulement 7 ans pour réaliser cette œuvre constituée à l’origine de 6 grandes pièces textiles de 23 mètres de long sur 6 mètres de haut chacune.
Pour Louis Ier, grand prince amateur de tapisseries, cette commande fastueuse est une manière d’exposer son prestige et son ambition, notamment au sein de sa famille qui n'est autre que celle... du roi de France Charles V ! Ces frères qu'on surnomme "prince des fleurs de lys", participent à l'essor de l'art de la tapisserie en commandant des œuvres prestigieuses.
La tapisserie de l’Apocalypse sert de décor à de grandes cérémonies princières et est probablement exposée... en extérieur ! Avec ses personnages quasiment à taille humaine, sa bande de terre fleurie en bas et sa bande de ciel habité d’anges au sommet, elle fonctionne comme un trompe-l'œil qui inscrit le récit dans l’espace réel du spectateur.
Les meilleurs artistes et artisans du XIVe siècle furent sollicités : Jean de Bruges, peintre du roi de France, réalise les modèles. Cet artiste, qui peint aussi bien des miniatures que des fresques, excelle dans l'art du détail tout autant que dans la réalisation de très grands formats. Il est l'homme de la situation !
La tapisserie est probablement réalisée à Paris, dans les ateliers d'un dénommé Robert Poinçon. Tissée en fils de laine de couleurs vives, mêlés à l’origine à des fils plaqués d’or en certains endroits, l’Apocalypse d’Angers est un chef d’œuvre de l’art de la tapisserie dite « de lisse ».
Elle a la particularité d'être sans envers ! Tous les arrêts de fils ont été cachés à l’intérieur du tissage. Cette attention extrême apportée à la face non-visible de l'œuvre (comble du luxe !) a permis de conserver les couleurs d’origine qui furent protégées de la lumière.
Transparence de l’eau, modelé des visages, drapés des vêtements : la technique des artisans lissiers est poussée ici à son paroxysme !
La tapisserie se “lit” de gauche à droite et de haut en bas. Mais il faut aujourd'hui savoir décrypter les images, car les textes présents à l'origine sous chaque scène ont entièrement disparu !
L’histoire racontée est connue. C'est celle, éternelle, de la lutte entre le Bien et le Mal. Du grec “apokalypsis” qui signifie “lever le voile” ou "révélation", ce récit écrit au Ier siècle de notre ère par Jean de Patmos constitue le dernier Livre de la Bible.
Mais la tapisserie de Louis Ier va bien au-delà du texte biblique : à travers un récit ancien connu de tous, Louis veut parler du présent pour adresser à ses contemporains un message politique en pleine guerre de Cent Ans.
Aux dragons et autres bêtes mythologiques se mêlent alors des chevaliers, des moines et toute une troupe de plus de 400 personnages qui n'ont quant à eux rien de légendaires...
Ouvrez l’œil : les scènes fourmillent de détails qui font de la tapisserie de Louis Ier un vrai livre d’histoire ! On peut même y reconnaître des personnages ayant réellement existé, comme le Prince Noir, ennemi personnel de Louis Ier d’Anjou, ou son père, le roi d’Angleterre Édouard III.
Comment tient-on une épée au Moyen Âge ? À quoi ressemblaient les fortifications aujourd’hui disparues des villes à la fin du XIVe siècle ? Équipement des chevaliers et maniement des armes, instruments de musique, plantes, costumes, mobilier, architecture gothique... Le réalisme des images de la tapisserie permet un véritable retour aux sources.
Le dernier des ducs d’Anjou, le célèbre roi René, lègue la tapisserie à la cathédrale d’Angers à la fin du XVe siècle. Cette œuvre qui servait jusque-là le prestige d’un prince, devient un support exclusivement religieux et commence alors une nouvelle vie.
Mais, au XVIIIe siècle, la mode change et la tapisserie de l’Apocalypse en fait les frais ! Faute d’acheteurs, elle est mise de côté et oubliée.
Au milieu du XIXe siècle, on redécouvre sa préciosité. Mais dans quel état ! Elle a été mutilée, découpée en plusieurs morceaux pour servir à de basses besognes : tour à tour voile d’hivernage pour les orangers, couverture pour les chevaux…
Un homme, le chanoine Joubert, alors en charge du trésor de la cathédrale, consacre sa vie à ce sauvetage.
Les restaurations entreprises sont massives, mais elles ont le mérite de ressusciter la tapisserie qui voyage alors dans le monde entier, d’expositions universelles en musées.
Elle retrouve, triomphante, le château d’Angers dans les années 1950 : une galerie monumentale y est construite rien que pour elle et vous permet aujourd’hui de découvrir ce chef-d’œuvre toute l’année !
Les tremblements de terre, la guerre, la pollution de la terre et des eaux... Quelle étrange résonnance avec notre temps ! Que l’on songe à l’actualité ou au cinéma, par son caractère universel l’Apocalypse est un récit toujours présent dans les esprits et la culture contemporaine.
À Angers et ailleurs, la tapisserie de l'Apocalypse inspire de nombreux artistes contemporains. C’est explicitement en son hommage que Jean Lurçat créa Le Chant du Monde au milieu du XXe siècle. Cette autre tapisserie monumentale, comme un écho par-delà les siècles, répond à l’Apocalypse de Louis Ier depuis l’autre rive de la Maine.
La vie de la tapisserie de l’Apocalypse n’est pas terminée : aujourd’hui encore les scientifiques l’étudient sous toutes ses coutures et veillent à sa conservation. Car cette vielle dame qui a traversé les siècles a encore bien des choses à nous apprendre... comme en 2021, quand des fragments de cette œuvre ont été miraculeusement retrouvés !
Depuis mai 2023, la tapisserie est inscrite au registre international Mémoire du monde de l'UNESCO, au même titre que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789-1791), l’Appel du 18 juin 1940 du Général de Gaulle, les films des frères Lumière ou la broderie de Bayeux….
Cette inscription reconnaît le rôle majeur de ce chef-d’œuvre dans l’histoire de la création artistique et la nécessité absolue de sa préservation au regard de sa valeur pour l’humanité toute entière.