Art & Architecture
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Avec ses deux tours massives qui encadrent la plus ancienne herse de France et les arabesques des jardins à leur pied, c’est l’image iconique la plus instagrammable d’Angers. Créés en 1911, les broderies qui ornent le fond des fossés du château d'Angers sont les jardins les plus anciens de la forteresse et ils témoignent d'un moment charnière dans l'histoire de l'art du paysage en France.
Les fossés qui bordent les 17 tours de la forteresse datent, comme elles, des années 1230 et de la régence de Blanche de Castille, mère du roi Saint-Louis.
Aux XIIIe et XIVe siècles, cet espace n'a rien du jardin d'agrément qu'il est aujourd'hui : les douves sèches permettent avant tout la défense de la place-forte. Avec les tours percées d'archères ou encore la herse et son pont-levis, elles sont un élément de fortifications parmi d'autres qui protège le château des attaques ennemies.
Au XVe siècle, à l'époque du roi René et de la florissante cour des ducs d'Anjou, les fossés abritent une partie de la ménagerie princière.
© Yann Bernard - Jean-Baptiste Barreau / Centre des monuments nationaux / Département de Maine-et-Loire (Service archéologie)
Ce que l'on connaît de l'histoire paysagère des fossés du château ne commence que plus tard et les premiers jardins sont probablement des jardins vivriers : une archive de 1771 rapporte que « la plus grande partie est un jardin potager ».
Au XIXe siècle, le ministère de la Guerre, propriétaire du domaine, loue les fossés à des particuliers : potager, clapiers, pâtures pour les moutons et carré de vignes envahissent alors les douves.
Il faut attendre le début du XXe siècle pour que cet espace change radicalement d'affectation. C’est en deux phases, entre 1911 et 1913 puis dans l'entre-deux-guerres, que les fossés vont prendre l’allure qu’on leur connaît aujourd’hui.
Sous l’impulsion des autorités municipales, les jardins de particuliers sont supprimés au profit d’un projet de jardin public accessible depuis le boulevard du Château (actuel boulevard Charles de Gaulle).
Mais quelle forme de jardin choisir pour cet espace qui en était originellement dépourvu ?
Le projet angevin s’inscrit dans un mouvement plus global en France de réinvention d'une tradition paysagère.
Avec les figures des architectes-paysagistes Henri et Achille Duchêne, c'est le retour des grandes compositions jardinées dans les sites historiques, comme au château de Champs-sur-Marne.
Après la défaite de 1870, la restauration du prestige de la France passe aussi par l’art du paysage. Ce patriotisme se traduit notamment par une réinterprétation des formes classiques et régulières, sur le modèle de ce qui est vu alors comme l’âge d’or des jardins : Versailles.
© Yann Monel / Centre des monuments nationaux
Angers suit donc la mode !
C’est d’ailleurs un enseignant de la prestigieuse école de Versailles qui a la charge du projet des fossés : le paysagiste René André.
Suivant la philosophie des Duchêne, il crée pour les fossés du château des jardins inspirés des formes et des codes du jardin « à la française », avec des parterres de pelouse épurés et réguliers qui se déploient alors dans l’ensemble des fossés.
Cet habitué des commandes pour des lieux historiques n’est pas un inconnu à Angers : Edouard André, son père, disciple d’André Leroy, y a déjà conçu le jardin des plantes et lui-même réalisera le parc de la Garenne-Saint-Nicolas à partir de 1936.
© Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP
En 1919, une remise en état des jardins est rendue nécessaire par quatre années de guerre au cours desquelles les douves avaient retrouvé une fonction de jardin potager.
Du côté du boulevard et de l’actuelle place Kennedy, le dessin général des jardins de 1911 est conservé mais des modifications sont apportées à la composition : on ajoute au sein des parterres très minimalistes et contemporains de René André des broderies fleuries.
C'est là encore une référence au jardin régulier de l’époque classique : avec les jeux d’eau, les bosquets ou encore la perspective, les parterres de broderie étaient une des composantes des jardins dits « à la française ».
Mais dans la tradition du jardin du XVIIe siècle, les fleurs avaient une place très restreinte. C'est probablement la mode de la mosaïculture, très en vogue depuis le Second Empire dans les embellissements urbains, qui inspira ces nouveaux choix à la Ville en 1919.
© Yann Monel / Centre des monuments nationaux
Du côté de la Porte de Ville (entrée actuelle du monument), les jardins ont été supprimés dans l’entre-deux-guerres, peut-être suite à un éboulis de la contrescarpe le long de la Promenade du Bout-du-Monde.
A la place, des cervidés y sont parqués jusqu’en 1999, date à laquelle ils sont finalement retirés pour raisons sanitaires. Si un tel parc à animaux n'est plus envisageable aujourd'hui, les équipes du monument réfléchissent en revanche à une valorisation plus écologique de ce côté du fossé, dans la perspective d'y favoriser la biodiversité et notamment la faune sauvage.
Ce travail de protection de l'environnement déjà engagé sur le reste du domaine vaut au château d'Angers depuis 2011 un classement « refuge pour la protection des oiseaux » et « refuge chauve-souris ».
© Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP
Du côté des jardins de broderies le long de la place Kennedy et du boulevard, là aussi les jardiniers s'adaptent : en 2025, le plan de fleurissement a été repensé afin de rendre cet espace plus résilient face à la sécheresse.
Le minéral y prend une part plus importante avec l’utilisation de briques pilées, de paillettes d’ardoises et de sable de Fontainebleau pour relever leurs couleurs. Cette pratique historique, plus fidèle à l'idée de René André et à l’art classique des jardins du XVIIe siècle, s'inscrit dans une logique d'évolution du paysage et de gestion raisonnée de ces jardins qui, depuis leur création, n'ont cessé de s'adapter, attirant le regard et les commentaires de millions de visiteurs.
Si l'intérieur du château présente de nombreux autres espaces végétalisés et paysagers, ces derniers ont tous été créés et plantés entre 1945 et 2021. Les jardins des fossés sont donc les plus anciens du domaine.
Une raison de plus pour ne pas passer à côté de l'histoire qu'ils ont à nous raconter !
Conçus d'abord pour être vus d'en haut, les jardins dans les fossés s'admirent depuis la place Kennedy ou depuis l'intérieur du château en montant sur le chemin de ronde en haut des remparts.
Ces espaces sont ouverts de manière ponctuelle par les équipes du monument, à l'occasion de visites commentées spécifiques ou de grandes journées d'ouverture libre et gratuite des fossés.