Histoire
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Partie intégrante de la panoplie du chevalier, les armoiries sont une invention du Moyen Âge dont les codes se sont transmis jusqu'à aujourd'hui. Mais à quoi servent ces symboles ? Découvrez l'héraldique à travers les armoiries peintes, sculptées et tissées du château d'Angers !
Les armoiries (ou armes) naissent aux alentours du XIe siècle, probablement de la nécessité de s’identifier sur le champ de bataille.
Véritable carte d’identité visuelle, elles sont utilisées avec le même objectif dans la vie civile et figurent ainsi sur les objets, les bâtiments, les vêtements, marquant l'appartenance de ces derniers à un propriétaire.
Au château d’Angers, on retrouve les armoiries des ducs d’Anjou sur les bâtiments qu’ils ont fait édifier (châtelet, logis royal, chapelle) et sur la Tapisserie de l’Apocalypse dont le duc Louis Ier est le commanditaire.
© Yann Monel / Centre des monuments nationaux
Les armoiries sont composées de formes (abstraites ou figuratives) et de couleurs qui remplissent ces formes.
Les formes, qu’on appelle "meubles", peuvent représenter de manière plus ou moins stylisée des objets, végétaux, animaux…
Les couleurs se déclinent quant à elles en trois catégories : les "métaux" (or et argent) et les "émaux" (bleu dit "azur", vert dit "sinople", rouge dit "gueules", noir dit "sable", violet dit "pourpre").
Enfin, la catégorie des "fourrures" (hermine et vair) correspond à un remplissage des formes par des motifs bichrome (émail/métal).
Ces noms (émaux, métaux, fourrure) témoignent probablement du fait que les armoiries qui recouvraient les boucliers étaient à l'origine fabriquées dans différentes matières permettant d'obtenir une variété de couleurs.
© Emma Fonteneau / Domaine national du château d'Angers
Les règles d’agencement de tous ces éléments sont strictes, notamment pour permettre une bonne lisibilité des armoiries : on ne peut ainsi pas mettre côte à côte deux couleurs relevant de la même catégorie (émail, métal ou fourrure).
Les armoiries de Jérusalem qui figurent sur les armes des ducs d'Anjou sont une exception à cette règle puisqu’elles superposent deux métaux : elles présentent une croix d’or sur un fond d’argent.
Toutes ces règles forment ce que l’on appelle « le blason ». L’étude des armoiries se nomme quant à elle « héraldique », qui vient du mot « héraut » (celui qui annonce et décrit les chevaliers entrant en lice lors des tournois).
On retrouve certaines de ces règles de nos jours dans l'agencement des motifs et des couleurs des panneaux de signalisation.
© Emma Fonteneau / Domaine national du château d'Angers
Contrairement à l’idée généralement reçue, tout le monde peut posséder des armoiries au Moyen Âge, y compris les paysans, bourgeois, artisans, membres du clergé, et bien sûr les femmes…
Dans la noblesse, les armoiries sont le reflet des possessions territoriales et des titres. Chez les princes qui possèdent de nombreux territoires, les armoiries peuvent alors devenir parfois très denses et complexes.
Tout comme les titres, les armoiries peuvent donc évoluer au cours de la vie en fonction des territoires gagnées ou perdus, au gré des mariages, des héritages ou des conquêtes. Parfois, elles sont même une manière de revendiquer un territoire.
© Caroline Rose / Centre des monuments nationaux
Sous le châtelet gothique édifié en 1450 à la demande du dernier duc d’Anjou, le roi René, un arbre généalogique composé d’armoiries est présenté aux visiteurs. Il permet de comprendre visuellement comment un territoire (et donc un symbole héraldique) peut se transmettre de génération en génération et s'agence différemment sur l'écu en fonction des autres meubles présents.
Chaque ligne représente une génération : sur la ligne supérieure apparaissent les armoiries des arrière-grands-parents de René, et sur la ligne inférieure les armoiries de René lui-même.
© Emma Fonteneau / Domaine national du château d'Angers
Ces dernières se déclinent en trois versions illustrant trois moments de sa vie, les territoires ou titres qu’il possède fluctuant au gré de ses mariages ou héritages.
Sur les armoiries que René porte entre 1435 et 1443 figurent ainsi le duché d’Anjou (héritage paternel), celui de Bar et Lorraine (obtenus par son mariage avec Isabelle de Lorraine) ainsi que les royaumes de Hongrie, Naples-Sicile et Jérusalem qu’il a hérités par adoption de la reine Jeanne de Naples. C’est de la possession de ces derniers territoires que lui vient son titre de roi.
Le duché de Bar est un bon exemple de ce qu'on appelle des "'armoiries parlantes", c'est-à-dire qui transcrivent littéralement le nom de la personne ou du territoire représenté : le bar=le poisson !
Louis – comme déjà au XIIIe siècle Charles d’Anjou, frère de saint Louis – reçoit le duché d’Anjou en 1360 en tant que frère cadet du roi Charles V. Il devient "Louis Ier d'Anjou".
Ce duché est dit « apanagé » : cela signifie qu’il est donné à cette branche de la famille royale tant que cette dernière a des héritiers. Si la lignée s’éteint, le territoire revient alors dans l’escarcelle royale. C’est une manière de faire un partage entre les différents fils du roi tout en gardant l’intégrité du royaume.
La deuxième maison d’Anjou commence avec Louis Ier en 1360 et se termine avec la mort du petit-fils de Louis, le roi René, en 1480 : l’Anjou est alors récupéré par le roi de France Louis XI.
Ces "cadets" du royaume ont le droit d'arborer les couleurs et meubles royaux (la fleur de lys d'or sur champ d'azur), mais avec une petite différence : un élément rouge y est obligatoirement apposé, comme par exemple une bordure, afin de bien indiquer que ce ne sont pas les armoiries du roi.
C'est ce qu'on appelle une "brisure".
© Isabelle Guegan / DRAC Pays de la Loire
Mais Louis Ier est un ambitieux : il joue avec cette règle et n'hésite pas à faire oublier la brisure pour mieux mettre en avant les armoiries royales.
C'est tout à fait visible sur les images de la Tapisserie de l'Apocalypse dont il est le commanditaire : les armoiries du duché d'Anjou sont présentées en alternance avec d'autres motifs. Par ce jeu de damier, la bordure rouge se fond dans le décor qui l'environne et se fait oublier...
Ce n'est peut-être pas une coïncidence : la Tapisserie est en cours de fabrication au moment où Louis Ier assure la régence du royaume après la mort de son frère le roi Charles V en 1380.
© Isabelle Guegan / DRAC Pays de la Loire
Les armoiries ne sont pas la seule manière de se mettre en scène. D'autres emblèmes peuvent être utilisés, et la Tapisserie de l'Apocalypse offre à nouveau un exemple de choix.
En plus des armoiries de l'Anjou présentes sur les bannières tenues par des anges ou sur les ailes d'éphémères, un monogramme présentant les lettres "L" (pour Louis Ier d'Anjou) et "M" (pour Marie de Blois) entrelacées habille tout l'arrière-plan d'une des scènes les plus symboliques de la Tapisserie, illustrant la lutte du Bien contre le Mal.
© Caroline Rose / Centre des monuments nationaux
Et que vient faire la croix de Lorraine, symbole de la Résistance, sur la Tapisserie de l'Apocalypse ?
Rien d'anachronique : il s'agit en fait de l'ancêtre de la croix de Lorraine : la croix d'Anjou.
Liée à l'histoire d'une précieuse relique ramenée de Terre Sainte et cachée au château d'Angers, cette croix à double traverse est un symbole personnel de Louis Ier d'Anjou puis de ses descendants, Louis II et le roi René. Elle figure ainsi sur la Tapisserie de l'Apocalypse qui a même peut-être été tissée en son honneur, et sur l'une des clefs de voûte de la chapelle Saint-Jean-Baptiste.
Ce symbole migre vers l'Est par le mariage du roi René avec Isabelle de Lorraine, avant de de devenir aux heures les plus sombres du XXe siècle un symbole de liberté. Mais ça, c'est une autre histoire...
© Isabelle Guegan / DRAC Pays de la Loire