Château d'Angers

En 1480, est découverte la Domus aurea, formidable palais construit par l’empereur Néron à Rome. Rapidement, les artistes s’y pressent pour admirer ses riches décors qui vont profondément marquer l’art de la fin du XVe, des premières décennies du XVIe siècle et des siècles suivants.
Un motif, qu’on appellera « grotesques », retient particulièrement l’attention des visiteurs. Décrits par l’historien André Chastel comme un « monde vertical entièrement défini par le jeu graphique, sans épaisseur ni poids, mélange de rigueur et d’inconsistance qui fait penser au rêve », ils sont une source d’inspiration pour des peintres, sculpteurs, architectes de la Renaissance italienne puis, dès la fin du XVe et surtout le début du XVIe siècle, pour les artistes français. Ils deviennent un symbole de ce nouvel art, aux côtés des putti (enfants nus et joufflus), des portraits en médaillon.
Les premières années du XVIe siècle sont qualifiées de « Première Renaissance » ; c’est un art de transition. L’exposition présente des œuvres portant, sur des formes parfois encore gothiques, les prémices de l’adoption des motifs de la Renaissance italienne.
© E. Fonteneau / Château d’Angers
Banc tournis avec des panneaux sculptés Renaissance
Début du XVIe siècle
Chêne (structure) et noyer (panneaux)
Coll. MAB
Le banc tournis ou à tournis possède un dossier appelé règle qui peut basculer d’un côté ou de l’autre et qui permet de se tenir par exemple dos à la cheminée pendant le repas, puis face au feu ensuite. La structure du meuble, avec ses montants à écailles ou à torsade, est encore gothique, alors que les panneaux des côtés comportent un décor déjà Renaissance, avec les têtes d’hommes et de femmes inscrites dans des médaillons au-dessus de motifs géométriques.
Les bancs tournis du XVe siècle à fenestrages ou à plis serviettes sont rares. Celui-ci, qui marque le passage du gothique à la première Renaissance, semble être un unicum.
© DRAC Pays-de-la-Loire
Châsse émaillée
Argent doré, émail translucide
Début du XVIe siècle
Trésor de la cathédrale Saint-Julien, Le Mans, propriété de l’État
Inv. 2001-6
Cette petite châsse intègre à une forme encore médiévale (utilisation de l’émail, pattes de support) des motifs antiquisants de rinceaux et de pilastres aux chapiteaux corinthiens. Comme les trois autres reliquaires provenant du trésor d’orfèvrerie de la cathédrale du Mans présentés dans la galerie du premier étage, elle témoigne de la qualité de l’orfèvrerie mancelle sous l’épiscopat du cardinal de Luxembourg.
Puis, on assiste à l’épanouissement de cet art Renaissance, les motifs décoratifs et l’architecture inspirés des modèles antiques sont de mieux en mieux maitrisés.
Des pilastres à décor de grotesques scandent les tapisseries et les tableaux, créant des modules différenciés où viennent prendre place des scènes de la vie des saints.
Sur les objets d’art, les ornements adoptent le vocabulaire de la Renaissance : grotesques, bucranes, têtes en médaillons…
© E. Fonteneau, château d’Angers
Détail de la tapisserie Le martyre de saint Saturnin avec la bordure comportant des motifs de grotesques
© N. Cheradame, château d’Angers
Adoration des mages, Saint Roch et Décapitation de saint Jean-Baptiste
Adoration des bergers et Présentation au Temple
Premier quart du XVIe siècle
Peinture sur bois
Classées monuments historiques le 17 juin 1901
Église Notre-Dame de la Couture, Le Mans
Cette paire d’ex-voto (objet donné pour l’accomplissement d’un vœu ou en remerciement) a été offerte à l’abbaye de la Couture par l’abbé Michel Bureau (1496-1518) pour remercier Dieu d’avoir épargné son couvent de la peste qui a sévi au Mans en 1515. La présence de Roch, un saint anti pesteux, ainsi que celle des armoiries et du portrait de l’abbé Bureau confirment le contexte de cette donation. La composition de ces très rares tableaux à plusieurs scènes séparées par des pilastres est semblable à celle des tapisseries contemporaines.
© A-C Victor-Théonas / Château d’Angers
Reliquaire du lait de la Vierge
Vers 1516
Argent doré, ciselé et émaillé.
Classé monument historique le 29 février 1904
Basilique Notre-Dame-de-l’Épine, Évron (Mayenne)
Ce reliquaire a été réalisé vers 1516 par un orfèvre angevin à la demande du premier abbé commendataire d’Évron, François de Chateaubriand. Il contiendrait les reliques du lait de la Vierge qui, selon la légende, ont entraîné la fondation de la première église d’Évron.
Ce précieux objet microarchitecturé, avec ses quatre pilastres aux motifs de grotesques surmontés d’un dôme et d’un lanternon, évoque la chapelle du palais épiscopal du Mans (1510) dont l’architecte, Simon Hayeneufve, a été formé en Italie. Il est possible qu’il soit l’auteur du dessin préparatoire de ce reliquaire, véritable chef-d’œuvre de la Renaissance.
La tenture de la Vie de saint Saturnin, un peu plus tardive que les tentures attribuées à Gauthier de Campes et due à un artiste d’origine italienne, illustre cette adoption plus maîtrisée de l’art de la Renaissance dans sa composition, l’architecture et les motifs qui y figurent.
La Vie de saint Saturnin est commandée en 1527 par Jacques de Beaune pour l’église Saint-Saturnin de Tours où elle est tendue jusque dans les années 1780.
On ignore combien de pièces elle comptait à l’origine. Sur les quatre tapisseries conservées à Chinon après la Révolution française, trois sont achetées pour la cathédrale d’Angers, et une, La vocation de saint Saturnin, pour le château de Langeais. Une des tapisseries d’Angers, montrant Saint Saturnin et le Christ, est volée en 1926.
Les cartons sont attribués à André Polastron, peintre italien qui réalise une partie de sa carrière en France. Ils illustrent la vie de saint Saturnin, disciple du Christ et premier évêque de Toulouse.
© De Wit manufacture royale de tapisseries
Les adieux de saint Pierre, une des premières scènes de la tenture de la Vie de saint Saturnin, 1527, inv. 97, conservée au château d’Angers.
À l’arrière-plan de la tapisserie, un prêtre est ordonné et une église construite sur les ordres de Saturnin.
© De Wit manufacture royale de tapisseries
Le martyre de saint Saturnin, dernière scène de la tenture de la Vie de saint Saturnin, 1527, inv. 98, conservée au château d’Angers.
Le saint est trainé par un taureau sur les marches du Capitole de Toulouse, donnant l’occasion à l’artiste de figurer des arcades Renaissance. Le commanditaire et sa femme, Jeanne de Ruzé, y sont représentés en prière, leurs paroles inscrites sur l’emmarchement : « O bon martyr, evesque et premier disciple du Christ, prie pour nous ».
Dans les tentures de la Renaissance, les costumes des personnages sont aussi importants d’un point de vue décoratif que les détails architecturaux.
Inspirés de modèles antiques ou bien fidèles à la mode contemporaine du début du XVIe siècle, les vêtements concordent avec les codes qui identifient les personnes selon leur rang dans la société : les hauts dignitaires ecclésiastiques, les notables civils, les militaires, les anonymes témoins des scènes.
Les emprunts à la mode contemporaine dans l’évocation d’épisodes vieux de plusieurs siècles créent un anachronisme qui n’a rien d’inhabituel dans les créations artistiques.
Dans les tentures, on remarque ainsi la juxtaposition des coules des moines et des tuniques antiquisantes avec les étonnants costumes des soldats aux formes et couleurs très variées.
Les somptueux vêtements d’apparat sont taillés dans des velours ciselés lamés de fils d’or, au motif dit « à la grenade ». Ce dernier figure aussi sur la chape provenant du château-musée de Saumur présentée dans l’exposition, donnant un aperçu très concret de la richesse de ces tissus.
Les accessoires sont également très précieux : coiffes, chapeaux aux bords relevés, bonnets brodés et toques de fourrure, voiles, chaussures.
A contrario, les saints dont les vies sont racontées se distinguent parfois par des vêtements simples constitués de grandes tuniques monochromes et de chaussures avec ou sans bride (Florian et Florent ou Gervais et Protais).
© Albert de Boer / DRAC Pays-de-la-Loire
Détail de la scène Le baptême de saint Gervais et Protais, deuxième pièce de la tenture de la Vie des saints Gervais et Protais, début XVIe siècle, inv. 23, conservée à la cathédrale du Mans.
© M. Maine / DRAC Pays-de-la-Loire
Détail des motifs du velours d’une chape conservée au Château-Musée de Saumur.
Chape à la grenade
Deuxième moitié du XVe siècle (velours), première moitié du XVIe siècle (orfrois)
Velours ciselé allucciolato (soie, argent, trame de lin), orfrois brodés (soie, or)
Italie, Espagne
Château-Musée de Saumur
Inv. 919.13.3.10-3, legs Charles Lair
Cette chape fait partie d’une « chapelle », un ensemble liturgique composé d’une chape et de son chaperon, d’une chasuble et de deux dalmatiques (tuniques).
La richesse du velours italien allucciolato, au motif de grenade, et des broderies en or nué, représentant le Christ, saint Jean l’Évangéliste, saint Paul, Dieu le Père (au centre), saint Pierre, saint Jean-Baptiste et un roi saint, laissesupposer une commande de prestige. Les motifs du velours sont visibles également sur les costumes représentés sur les tapisseries.
Le mors de chape (l’attache) porte les couleurs de l’Aragon et des armoiries encore non identifiées.
Vierge à l’Enfant
Première moitié du XVIe siècle
Pierre
Église Saint-Denis de Cormes (Sarthe)
Le style raffiné de cette statue, retrouvée récemment au cimetière de Cormes et provenant très certainement de l’église de la commune, rappelle la production des sculpteurs de la Vallée de la Loire du début de la Renaissance, et notamment de l’entourage de l’artiste tourangeau Michel Colombe (vers 1430-1512).
L’unité de la sculpture, la douceur et la beauté sereine des visages, l’harmonie des drapés et la finesse de la coiffe sont caractéristiques de l’art élégant de la Renaissance.