Histoire
article | Temps de Lecture8 min
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18 juin 1940. Voilà une date qui a marqué l'Histoire de France ! Cet événement fondateur est aujourd'hui inscrit à l'UNESCO, comme la tapisserie de l'Apocalypse ! Mais ce n'est pas leur seul point commun... Le général De Gaulle choisira moins d'un mois après son appel un emblème pour la Résistance à laquelle il vient d'appeler les Français depuis Londres. Une croix. Tout le monde la dit "de Lorraine". Et si elle était en fait... angevine ?
Pour tout Angevin qui se respecte, la croix à double traverse n’est pas lorraine, mais bien angevine.
Anjou, Lorraine... On y perd son latin, et surtout le nord ! Ce symbole héraldique est pourtant bien né ici, au XIVe siècle, à l'instigation du duc Louis Ier.
1359. La guerre de Cent Ans fait rage. Les chevauchées anglaises du Prince Noir pillent les campagnes du Sud-Ouest depuis déjà trois ans. Louis est chargé de ramener au château une relique qu'il affectionne et qui est gardée dans une abbaye entre Angers et Tours, afin de la mettre à l’abri.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un important fragment de la croix du Christ rapporté un siècle plus tôt de Terre Sainte par un autre angevin, le chevalier Jean d’Alluye.
Commence alors entre Louis et la relique une grande histoire... de dévotion !
En 1377, Louis décide de faire orner la relique d’une splendide monture d’orfèvrerie composée de gemmes et de perles.
Sur le modèle de l’ordre de l’Étoile fondé par son père, le roi de France Jean II Le Bon, Louis a déjà créé en l'honneur de la relique quelques années plus tôt un ordre de chevalerie, dit “de la Vraie Croix”, peut-être en lien avec un projet de croisade.
La forme de croix à double traverse peut surprendre.
Elle s'explique en fait par la représentation très commune dans l'art de la scène de la crucifixion : le Christ est cloué sur une croix surmontée d'un panneau portant l'inscription "INRI". Il s'agit d'un acronyme pour la phrase latine "Iesvs Nazarenvs, Rex Ivdæorvm" ou "Jésus de Nazareth, roi des Juifs".
La traverse supérieure plus courte symbolise donc ce panneau !
Pour son testament, véritable miroir de ses ambitions spirituelles et politiques, Louis Ier complète son nom en dessinant la croix à double traverse. Cette signature, d’un type unique parmi celles des princes de son temps, fortifie son autorité par le prestige de cette précieuse relique.
Cet emblème était aussi présent sur son trône et son épée.
Désormais, ce ne sera plus simplement l'objet qui se transmettra au sein de la Maison d'Anjou, mais aussi le symbole.
Au château, vous pouvez voir ce symbole sur la tapisserie de l'Apocalypse.
La croix à double traverse figure sur une des deux bannières que tiennent les anges surmontant le grand personnage au début de chacune des six pièces de la tapisserie de l’Apocalypse.
C'est là une des énigmes de cette immense tapisserie commandée par Louis : servait-elle en fait de décor pour des cérémonies de son ordre de la Vraie Croix ?
Découvrir la tapisserie de l'Apocalypse, un chef-d'oeuvre unique au monde.
La fonction de cette œuvre gigantesque reste en grande part inconnue, mais on sait qu’elle a pu servir de décor en extérieur. A-t-elle servi d'architecture mobile, un peu à la manière d’une grande tente ?
On sait surtout qu’elle est un outil de propagande politique pour Louis Ier qui s’en sert pour véhiculer ses ambitions personnelles.
Louis II, le fils de Louis Ier, poursuit les actions de dévotion envers la relique : il fait construire pour elle la chapelle du château d’Angers, où une clef de voûte la représente.
On peut alors quasiment parler de Sainte-Chapelle dans le cas de cet édifice !
Êtes-vous incollables sur la toute première Sainte-Chapelle édifiée à Paris par Saint Louis ? Découvrir son histoire
Le symbole de la croix à double traverse va se transmettre à la Lorraine un siècle plus tard, à cause... du roi René !
Comme son père Louis II et son grand père Louis Ier, René utilise l’emblème de la croix à double traverse. En 1420, il se marie avec Isabelle de Lorraine et devient en 1431, à la mort de son beau-père, duc de Lorraine, régnant conjointement avec son épouse.
Les héritiers de René et Isabelle continuent d'utiliser ce symbole : René II de Lorraine, fils d’une fille du roi René, fait sienne la croix à double traverse ; elle l'accompagne sur le champ de bataille.
Vainqueur de Charles le Téméraire dans sa lutte pour libérer la Lorraine des Bourguignons, il perpétue cet emblème longtemps après la disparition de la Maison d’Anjou qui s’éteint avec René.
La croix d’Anjou pouvait ainsi devenir croix de Lorraine : elle est intégrée dans les armoiries de cette région dès le XVe siècle.
Après l’annexion d’une partie de la Lorraine le 10 mai 1871, la “croix de Lorraine” avait déjà été utilisée dans cette région comme symbole de résistance contre l’occupant.
En juillet 1940, aux premières heures de la Résistance, c’est le vice-amiral Emile Muselier, fils de d'un Lorrain, qui suggère au général de Gaulle, en présence du chef d'état-major des Forces navales françaises libres Thierry d'Argenlieu, d’utiliser "une croix de Lorraine face à la croix gammée".
La croix à double traverse devient officiellement l’emblème de la France Libre par le règlement du 5 juin 1941. Et c'est donc sous ce vocable de "croix de Lorraine" que ce symbole angevin est passé à la postérité des siècles après sa naissance !
En 1940, l'emblème de Louis fait son retour en Anjou : il devient celui du réseau "Honneur et Patrie" ! Fondé par Victor Chatenay dès le début de l'Occupation, ce réseau de résistants gaulliste fut le premier du Maine-et-Loire !
Victor Chatenay anima ce réseau en famille aux côtés de son épouse Barbara Stirling-Chatenay et de leurs enfants.
"Honneur et Patrie" comptait 300 membres, dont 107 furent arrêtés, 89 déportés et 47 tués.
La relique est achetée en 1790 par les Sœurs de la Congrégation des Filles du Cœur de Marie, située à Baugé-en-Anjou, à quelques kilomètres seulement de l'abbaye où elle était gardée avant 1359.
La précieuse croix de Louis n'a donc jamais quitté l'Anjou où elle est connue désormais sous le nom de "Croix de Baugé".
Au château, une borne numérique tactile disposée dans la chapelle restitue en 3D cet objet d'orfèvrerie qui se laisse désormais découvrir du bout des doigts !