Art & Architecture
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Ce n'est pas le titre d'un nouvel opus de la saga Indiana Jones, mais une histoire vraie qui a tout de l'enquête policière. Tout commence à Paris, lors du confinement du printemps 2020...
Paris. 2020. Premier confinement. Guy Ladrière et sa fille Sandrine Ladrière profitent de ce temps inédit de fermeture pour faire l'inventaire de la collection textile de leur galerie “Charles Ratton & Guy Ladrière”.
Mais que sont ces fragments de motifs ressemblant à des grosses fleurs et agencés sur un tissu couleur pourpre ?
Dans un tiroir d’un meuble de leurs réserves, les attendait un morceau d’histoire...
Un indice : sur ce tissu, une note manuscrite mentionne "Fragments provenant d'une des célèbres tapisseries d'Angers. Acheté à Otto Wegener 1924".
Charles Ratton est le fondateur de cette galerie d’art parisienne. Né en 1895 et ancien élève de l'École du Louvre, ce marchand d'art est connu dans le monde pour être un grand spécialiste des arts premiers. Guy Ladrière qui l'a connu, témoigne de l'œil exceptionnel de ce collectionneur qui savait dénicher les plus belles pièces.
Aurait-il acheté des fragments de la tapisserie de l'Apocalypse aujourd’hui exposée dans le château d’Angers ?
Conscients de l'incroyable découverte qu'ils viennent de faire, Guy et Sandrine Ladrière contactent le Ministère de la Culture, propriétaire de la tapisserie de l'Apocalypse. L’enquête commence...
Découvrir la tapisserie de l'Apocalypse, chef-d'œuvre unique au monde.
Les experts de l'Apocalypse d'Angers sont dépêchés. Clémentine Mathurin, conservatrice de l'œuvre à la DRAC des Pays de La Loire, et Montaine Bongrand, restauratrice textile qui travaille sur la tapisserie de l'Apocalypse depuis 2016, partent étudier les fragments à Paris.
Leurs espoirs sont grands : les premières images qu'elles ont vues des fragments parisiens montrent des motifs de fleurons extrêmement similaires à ceux que l'on peut observer derrière un des grands personnages de la tapisserie.
Par chance, ce grand personnage entouré de ces motifs végétaux fait partie des pièces de tapisseries qui ont été décrochées et amenées en réserves en 2016 lors du constat d’état de l’œuvre.
Les restauratrices ont donc analysé récemment, et dans les moindres détails, ces grandes fleurs si ressemblantes à celles qui dormaient dans la galerie parisienne...
Sur place, leurs premières analyses comparatives du motif, des couleurs et du tissage des fragments montrent des similarités qui confirment bien les premiers espoirs. Montaine Bongrand, équipée de son “compte-fils”, vérifie notamment le nombre de fils de trame au cm. C’est un peu l’empreinte digitale d’une tapisserie.
Et ça match ! L'enquête avance !
Découvrir les coulisses du constat d'état de la tapisserie de l'Apocalypse
Un troisième expert entre en scène : Mohamed Dallel, responsable du pôle textile du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) à Champs-sur-Marne.
Lui aussi connaît bien la tapisserie de l'Apocalypse : il fait partie du comité scientifique qui veille à sa préservation et a conduit en 2017 aux côtés de Montaine des études sur les filés d'or et d'argent présents dans le cœur des fleurons du grand personnage en question.
Car c’est là une interrogation qui taraude ces scientifiques depuis plusieurs années : y avait-il bien à l’origine, mêlés aux fils de laine, des fils d’or comme cela est souvent le cas dans les tapisseries prestigieuses ?
Sur les fragments retrouvés par Guy et Sandrine Ladrière, Mohamed Dallel repère bien la présence de filés métalliques dans le cœur des fleurs. La même technique que pour l'Apocalypse y est employée, à savoir la création d'un fil doré à partir de fils de soie recouverts de lamelles d'argent autrefois plaquées d'or.
L'analyse chimique de la fibre et notamment de son PH concorde aussi.
Il n'y a plus de doute !
Ces fragments semblent donc bien provenir de la tenture de l'Apocalypse, le plus grand ensemble de tapisseries médiévales conservé au monde et inscrite à l'UNESCO depuis 2023 !
À la différence du reste de l’œuvre, les filés métalliques sur les fragments sont extrêmement bien conservés et visibles à l'œil nu. On s'imagine désormais le chatoiement et la richesse de cette tapisserie monumentale de Louis Ier d'Anjou !
Retracer l’histoire de ces fragments n'est cependant pas facile. Les archives de la galerie Raton & Ladrière datent leur achat à l'année 1924. On peut supposer que ces fragments ont été retrouvés dans les années 1860, lors des grandes restaurations conduites dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis mis de côté, faute de pouvoir être réintégrés au reste de l’œuvre.
Mais comment sont-ils arrivés ensuite sur le marché de l'art ? Mystère !
Guy et Sandrine Ladrière ont décidé d'en faire don à l'Etat afin que ces fragments puissent être conservés avec la tapisserie de l'Apocalypse dont ils proviennent. Ils ont désormais rejoint les réserves où ils seront étudiés et remontés sur un support plus adéquat, tant du point de vue de la conservation que de la présentation. Ils seront ensuite montrés au public au château, dans le cadre d’expositions ponctuelles.
Les fleurons ne sont pas les seuls fragments connus de l’Apocalypse. Les réserves du château en conservent d’autres. Il en existe même ailleurs dans le monde : au musée De Young à San Francisco, et à la Burrell collection à Glasgow !